C'est une idée que j'ai eue, un de ces jours derniers. Ecrire une pensée sur Noël, et la faire vivre en co-existence avec la pensée d'un ami. Pas n'importe lequel : quelqu'un qui comme moi a le goût des lettres indéfectiblement liées au goût de l'être. Un double partage en quelque sorte, de valeurs et de mots, autour de la symbolique de Noël. Il s'appelle David et est responsable adjoint d'une médiathèque. Je lui en parle, l'exercice ne lui est pas coutumier et il est si pudique, il hésite, puis nous nous engageons dans ce défi cadeau que je suis heureux de partager aujourd'hui avec vous.
Ma pensée de Noël :
Cette pensée m’est apparue hier soir, après avoir pris connaissance des déclarations du 1er Ministre... (juste pour le contexte). Une pensée particulière, surement un peu iconoclaste (est-ce surprenant ?), et ceux de ma génération pourraient en dire une pensée à la Cloclo (car « ça s’en va et ça revient ») ou une pensée à la Michel Fugain (pour le « Big Bazar »).
Je ne me souviens pas d’où j’ai entré dans mon ADN que Noël était et resterait un moment clé de ma vie, un moment à ne pas banaliser, d'ailleurs, ma vie est-elle banale ? Pas vraiment.
Alors, petite mise en garde à toutes celles et ceux qui depuis ma petite enfance me serinent que c’est une fête commerciale sous les Fourches Caudines d’un capital systémique diabolique, qu'il ne faut pas attendre ce jour pour, etc. Passez votre chemin s’il vous plait sinon je vais m’agacer, et je vais vous dire que je ne crois pas deux minutes que ne sachant pas vivre ce moment, vous savez réellement vivre les autres. Et là, je vais même vous agacer : alors « au revoir » (effet magique VGE, vous avez l’image, ça va vous détendre).
Pour celles et ceux qui imaginent un texte conventionnel, il faut certainement là aussi faire un petit écart pour retrouver un chemin moins escarpé.
Comment je pense Noël ? Au plus loin qu’il m’en souvienne, il y a eu ce jour une lumière. Bien avant que mon éducation m’en explique une signification religieuse, bien avant que je n’accepte d’être noyé par la polémique, il y a eu une lumière ce jour dans ma vie, chaque année.
Penser Noël, c’est penser espoir, ce qui est tout sauf une idée guidée par la norme et ce qu’on appelle la raison.
Si le propos qui suit était qualifiable, je dirais que pour moi, penser Noël c’est penser en désordre, hors du champ des mots et du langage, penser images et visuels, mots, bruits, flashes, souvenirs, rêves, moments vécus, sans queue ni tête. Noël est au-dessus de ça, bien au-dessus comme aimait à le dire Camus qui refusait un conformisme enfermant... et « chiant » (le lâcher de Noël, bien connu).
Penser Noël, c’est voir passer les moments d’antan, ceux racontés par mes aïeux, ceux vécus par moi, avec eux.

Un sourire, un fou rire, un plat, une nausée du trop à manger et à boire, de la neige sa blancheur qui neutralise le froid, une histoire à la Cosette avec l’orange et rien, une bougie, les contes de Daudet, un feu de bois devant un âtre immense, une messe, une crèche bâtie avec la naïveté et le « goût » d’un gosse, de vieux clichés Kodak en noir et blanc, des polaroid verdâtres, des vêtements d’un autre temps… Un sapin plein de lumières et de couleurs scintillantes, à la maison, dehors, dans les vitrines, (dire que j’ignorais alors, que nous étions criminels à le couper c’te pauv' sapin), des guirlandes qui perdaient de leur superbe à chaque manipulation sur les sols et tapis, un lever noctambule à plusieurs reprises pour surprendre ce fichu Père Noël qui finirait par me duper quand même sur ma pseudo vigilance (aidé par le sommeil de l’enfant juste), par les cadeaux demandés (au cas où) et inventés (un sur deux cochait la case cool, l’autre comment dire)… Du pyjama à nounours en passant par le sous-pull en lycra aux couleurs vives improbables et les cheveux coupe « Beatles », au refus de la photo parce qu’ado plus ou moins bien dans sa peau et l’air grognon du même devenu post ado « casse machins »…
Penser Noël, c’est penser amour.
Des siens, la famille « chiens et chats », de son premier amour à soi (Love Actually), puis d’un autre qui marque plus et qui permet de vivre des Noëls planants, sans aucune autre substance que celle merveilleuse du sang du cœur, puis le Noël chagrin boué avec « mes miens » pour trouver l’envie de vivre et l’envie d’aimer après l’abîme. C’est le déversoir des téléfilms neuneus qui ruissellent de bons sentiments.
Rêver à son Noël idéal : existe-t-il seulement ou n’est ce qu’un mélange de nostalgie, de mélancolie, de faux espoirs et de manque de courage ? Et puis d’ailleurs c’est quoi ce Noël idéal, celui où cette lueur indescriptible submerge le cœur par sa chaleur, et durablement ? Ou juste la justesse de savoir vivre le petit bonheur que chaque instant nous donne ? Le saurai-je un jour.
Noël, c’est un don.
Là-dessus, je frise le rayon hystérie : dans le don, le cadeau, je puise une force et du plaisir ; dans la réception d’un cadeau ou autre, je puise une goutte d’eau, à peine perceptible. Des décennies que cela dure. Je ne sais pas si j’en ai souffert, je sais que j’en souffre. Mais je ne sais ni l’exprimer, ni le vivre complètement. Alors je fuis, j’offre, je donne, sans raison gardée aucune. Combien de fois ai-je failli oublier d’ouvrir mes cadeaux amoureusement faits par mes proches parce que les regarder ouvrir les miens m’avait envouté de bonheur et emporté ailleurs.
Le Père Noël des contes n’a qu’à bien se tenir.
Je suis certain d’ailleurs qu’il va m’intenter un procès lui, pour concurrence déloyale. Mais je serais lui, je m’abstiendrais, qui sait si je n’ai pas comme destin de la remplacer ? Haha… il fait moins le fier le barbu blanc en rouge !
Sur le Teppaz, j’entends Tino Rossi et son Petit Papa Noël, Jingle Bells (je ne comprenais rien mais c’était féérique), les pubs télé naïves à souhait, mais j’avais tant envie d’être porté (transporté) au pays des lumières et de la douce chaleur qu’elles procurent… Noël pour s’échapper du monde un moment et vivre tout en vrac, s’y lover juste pour le plaisir. Noël, sa crèche au pied du sapin, (naturel puis horriblement artificiel et maintenant design), son petit Jésus le bébé naissant le 25 chaque année, la vie nouvelle sur terre… Je l’ai aussi installé dans la paille de ma petite église ce gosse en céramique chargé d’âme, tant d’années.
Noël, c'est être enemble.
C’est certes être bien avec soi, mais c’est être en communion avec les autres, et faire de son mieux pour les autres. Ce pourquoi je ne peux pas, je n’y parviendrai jamais, imaginer un Noël de solitude. Ça s’appelle un jour de Noël, un jour de calendrier, mais pas Noël. Noël c’est soi et les autres, le partage de rien, de tout, du pire au meilleur. Un Noël où je m’enferme, même en pensant haut, très haut, ça ne peut être mon Noël. Peut-être, pourrait-on déconstruire cette représentation ? Est-elle LA vérité ? Mais pour quoi faire d’ailleurs, et si je préfère ma réalité, elle ne va pas parfois sans douleur contrairement à ce qu’on pourrait imaginer : et oui, on peut souffrir aussi dans l’imaginaire, même sur l’Ile aux enfants, la représentation ultime du pays des enfants heureux et des monstres gentils.
En disant cela, on élimine ce que Brel a si bien chanté, « l’inaccessible espoir » : Noël est accessible si les cœurs acceptent de s’enchainer les uns aux autres. Telle est ma pensée, ma foi. Je continuerai en 2020 à penser Noël. Et cela reste de ce point de vue, le seul jour où je peux croire au miracle, à la disparition de cet abcès né en 2017 qui me consume, à cette énième interview depuis le début de la Covid, qui m’a emporté mon Papa, aux commentaires haineux et fielleux qui vont émailler les réseaux sociaux et leurs cortèges de nocivités.
Alors ce Noël, semi-abimé, semi-confiné, je penserai sûrement à vous, pandémie ou pas, embarqués dans un ballet de folie à bord d’un traineau tiré par des rennes.
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C'est une douce lumière et une douce chaleur que me procure le plaisir de déposer sous votre sapin ces deux textes. Le mien, un peu long, celui de David, tellement intense. Merci David de tout coeur.
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