Demandez votre rapport : qui n’a pas son rapport ?
- Stephane Fayol
- 19 janv. 2020
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 8 avr. 2020

Pourquoi cette question posée façon crieur de journaux d’un autre siècle ?
Simplement, par ce que je n’ai pas manqué cette semaine le bref feu de paille sur les réseaux sociaux suite au Rapport Bellon-Mériaux-Soussan, qui, comme le relatait Les Échos, doit servir avec sa quarantaine de propositions à une « concertation nationale express » sur « l’emploi des seniors » dans le cadre des réformes engagées à ce jour.
Navré, notamment, pour la qualification de feu de paille, mais l’actu a visiblement autre chose à faire, et on est vite mais alors très vite repassé à de vrais sujets liés à la violence, la sortie du Président d’un théâtre sur « dénonciation », la situation du Prince Harry et de son épouse et j’en passe tant il y a d’actus cruciales et prioritaires.
Du rapport au réflexe Pavlovien
Pour moi, et ne riez pas, "rapport" me fait aussitôt penser à Elie Kakou, cf. photo et son célèbre personnage du Professeur où il annonce rituellement :
« Je vous préviens, que le premier que j’attrape en train de chuchoter, bavarder, quoi que ce soit, je le fous à la porte avec une rapport de chez Monsieur…. »
Bon j’admets que cette acception est étroite, et plutôt punitive dans son approche.
Voyons plus sérieusement ce que dit mon éternel allié Larousse : rapport égal à « Exposé dans lequel on relate ce qu'on a vu ou entendu ; compte-rendu, souvent de caractère officiel, d'une question, d'une mission ».
Ah, je suis un peu perdu, la pratique doit s’être éloignée du simple constat fidèle, puisqu’il y a maintenant des orientations, des appréciations, des diagnostics, des propositions, des bases législatives ou règlementaires ou de « concertation », voire en vieux français de négociation sociale. Bon, ceci étant acté, que puis-je penser ?
En près de 30 ans de vie professionnelle, j’en ai lu des rapports, je pense que les citer tous m’est totalement impossible. Il y en a qui ont été sous les feux de la rampe, d’autres qui sont passés complètement inaperçus, des qui ont été en totalité ou partiellement inspirants, et des, qui ont été enterrés en toute intimité, et je ne suis pas exhaustif.
Même notre Ministre du travail a participé au célèbre Rapport Lachmann Pénicaud Larose relatif au bien-être et à l’efficacité au travail, aux résultats très inégaux et imparfaits ; il y a eu les superbes rapports de Jean Denis Combrexelle en matière de dialogue social, rempli d’intelligence du sujet mais boosté à l’effet pschitt, le rapport du COR en 2018 préalable à la réflexion sur les retraites, le rapport Delevoye dont on connait l’aventure, le rapport de main 2018 sur la stratégie nationale pour un numérique inclusif, le rapport Léonetti sur la Fin de vie, et tant d’autres puisque nos Assemblées se nourrissent de rapports et de rapporteurs, l’Assemblée Nationale, le Sénat, le CESE, la Cour des Comptes etc.
Ce pourquoi j’ai choisi ce titre, je ne sais pas qui, pour nos grands projets de société, n’a pas eu son rapport ?
Et bien entendu, je n’en reste qu’au niveau national, si j’allais dans les entreprises, il y a des forêts, que dis-je des jungles de rapports. On a vraiment raison de reboiser…
Le raccourci des concertations à la finalité
Doit-on en déduire que je suis allergique aux rapports ? Non, du tout, je pense même qu’avoir une bonne vision précise et préalable d’un sujet avant d’y toucher pour le faire évoluer est sain. Mais ce qui est plus gênant c’est l’extension de la définition, où d’un moyen, on passe allegro à une finalité, qui peut en la matière s’avérer nulle. Et le séquencement du travail empilé et tout mélangé (le diagnostic n’est pas partagé on part notamment déjà sur des solutions). Cela éviterait beaucoup de gâchis sociétal.
Et je ne discute pas, à ce niveau de qui est choisi pour faire le rapport en question vs élargi, il y a autant de compétences que de rapports et plus même, voire chacun se fait son rapport. Ah non, il s’agit d'opinions en ce cas, mince alors, c’est complexe de restaurer les bons termes.
Ce devrait être une richesse de travail, c’est de plus en plus perçu comme un embrouillaminis qui donne lieu à de plus en plus de situations abracadabrantesques.
Et puis, j’ai aussi le souci du « trop » : trop de rapports, tue le rapport, et je ne parle pas de la pertinence des temporalités associées. SOS Asphyxie.
Bref, mon réflexe Kakou avait finalement du sens, ça finit par être punitif voire risible.
Et j’ai beaucoup de compassion pour toutes celles et ceux qui se sont attachés avec professionnalisme à réaliser ces travaux, et quand je les vois, dans la mesure où ils sont mis au piloris de ma médiatisation même furtive, remettre un document en mains propres à un destinataire, je tremble. Et là, second réflexe pavlovien : "Le Mystère Henri Pick" de David Foenkinos adapté au cinéma.

Ces rapports ne deviendraient ils pas des manuscrits oubliés et entreposés on ne sait où pour une partie significative ?
Je ne peux m’empêcher d’y penser. Les lit-on avant de leur faire un sort, bon ou mauvais ? Je ne le sais pas, et je n’en ai aucune preuve. Il y a quelques temps, j’avais écrit rapidement sur les réseaux sociaux qu’il s’agissait de multiplier les Comités Théodule et un des experts missionné m’avait gentiment envoyé, via twitter, le bonjour de Théodule. Bien entendu, mon propos n’était en aucun cas ironique intuitu personae, mais disons perplexe quant à la méthode, au système et non la pertinence des personne et du travail fait.
Bon j’ai évidemment passé sous silence l’ensemble des documents établis par l’administration de tous ces décideurs, hors intervention extérieure, mais je suis bien certain qu’il y a aussi de la matière riche.
Alors savons-nous digérer et mettre à profit nos rapports dans notre beau système démocratique, où sommes -nous en direction du podium de l’indigestion, les rapports étant trop nombreux et tellement torturés par nos circuits qu’on passe aisément du point Apollon au point Frankenstein ?
Le présent, l’avenir nous le dira et vaincra je l’espère de tout cœur toute trace de mon scepticisme ; mon souhait reste toujours le même : permettre aux meilleurs de donner le meilleur, valoriser nos talents, placer les réflexions et les décisions au bon endroit sans tomber dans n’importe quelle démagogie. Bref, tout un programme. Hatons nous lentement.
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